Lagrimas

Larmes en espagnol

Broderie main, divers textiles, fils coton & métallique, diamètre 145 cm, 2020-21

Cette oeuvre c’est l’histoire d’une rencontre. La rencontre inattendue, douce ou complice avec l’autre. La rencontre décisive et brutale avec un contexte : une pandémie. Quelle qu’elle soit, la rencontre nous permet de constituer ce que nous sommes car elle est l’expérience de ce qui n’est pas soi. C’est prendre la mesure de l’altérité de l’autre et alors éprouver qui l’on est, celui que l’on veut être. La rencontre c’est se décentrer pour mieux se recentrer sur soi-même. Elle n’a d’emprise sur soi, sur nos changements à venir qu’à la condition de le décider, qu’à la condition de se permettre de la vivre pleinement. C’est alors se sentir à l’issue de celle-ci plus ouvert, plus réveillé, plus présent au monde. Sans elle nous mourrons et pendant toute cette période, celle de la COVID, du premier confinement jusqu’à aujourd’hui, moi je voulais vivre !

Au moment où nous étions privés de contact, inconsciemment je traçais des lignes sur des feuilles de Gingko. Telles des directions, des liens forts, des nervures de vie, j’avançais vers l’autre. Par leurs couleurs, ces trois feuilles expriment tantôt la légèreté, la douceur et la passion. Le Ginkgo symbolise une nature forte, mystique. Seul arbre survivant d’Hiroshima, il représente en orient l’immortalité, l’endurance et la vitalité. Par sa force tranquille, il invoque l’espoir. La nature est mon élément mystique, de l’ordre du mystère. Quelque chose qui m’émeut, me touche au plus profond. Quelque chose que je ne maîtrise pas, qui m’échappe. Quelque chose de bien plus grand que moi, qui m’englobe, me contient sans m’absorber. Je me sens alors faire partie d’un tout. Dans cette idée de « faire liens », à la nature, à l’environnement ou aux autres, il est question pour moi d’être à une place « juste », de ne pas couper mon lien, bien au contraire de le questionner et de l’ajuster.

Ces liens visibles sont aussi l’expression de liens invisibles, ceux de la rencontre qui nourrit et perdure à travers le temps, au-delà des événements. Ces liens forts, tissés, ancrés font jaillir ces lignes, ces larmes, ces couleurs tel un élan, une passion, une furieuse envie de donner. Les mains comme disait Aristote « prolongent l’esprit ». Ici l’esprit se laisse aller et les mains se souviennent. Tout est là, tout vient de ce qui a été donné. Le titre Lagrimas, signifie en espagnol « larmes ». Des larmes de joie, de tristesse, des larmes de vie, celles qui rendent certains moments intenses. Ici les larmes sont colorées, effilochées, elles brillent et ruissellent tel un jaillissement, un renouveau. On ne connaît pas la cause de ces larmes, on est simplement le spectateur de la conséquence.

Dans cette œuvre, on peut lire un visage, présenté de face sans genre apparent. Il nous regarde les yeux dans les yeux, il se pose face à nous. Les éléments du visage comme les yeux et la bouche sont constitués d’une multitude de points blancs et dorés. Ces points s’amoncèlent, s’échappent comme pour voir ou exprimer au-delà de ce que l’on perçoit, de ce qui est dit. Ce visage est pour partie contenu par des plaques colorées qui se juxtaposent et pour la seconde moitié, délimité par les feuilles de Ginkgo. Ce visage peut aussi se lire vue d’en haut, en plongée, telle une cartographie. Il devient alors un paysage délimité, borné, dessiné. Par jeu d’inversion, ce paysage tracé, contenu, devient visage. Cette complémentarité qui semble s’opposer questionne les interactions de l’homme avec son environnement. Tel un « état des lieux du moment », Lagrimas pose un regard qui tente d’ajuster et d’harmoniser ce qui nous rend vivant, vibrant.